Par ce geste, le ministre ne s’est pas contenté de dialoguer avec des acteurs controversés : il leur a offert la reconnaissance institutionnelle, et, ce faisant, conféré une légitimité politique et morale à un discours qui, depuis des années, repose sur la stigmatisation ethnique et la haine des Tutsis.
Jean-Claude Mubenga et Kalonji se présentent comme les hérauts d’un supposé « nationalisme congolais ». Mais sous cette bannière se cache une rhétorique fondée sur l’exclusion, la déshumanisation et l’appel à la violence. Dans leurs productions, les Tutsis sont qualifiés de « cafards », un vocabulaire emprunté directement à la rhétorique génocidaire du Rwanda de 1994.
Leur ligne idéologique vise à délégitimer la citoyenneté des Tutsis congolais en les réduisant à des « étrangers rwandais », indésirables sur le territoire national. Leur propagande va jusqu’à cibler des responsables militaires tels que le général Olivier Gasita, abusivement présenté comme un « Rwandais » illégitime à commander à Uvira.
Cette rhétorique ne demeure pas théorique : elle se traduit par des appels explicites au meurtre. Mubenga, proche du pouvoir, parfois invité à des cérémonies officielles aux côtés de hauts dignitaires, avait publiquement réclamé l’assassinat du colonel Rugabisha, officier FARDC, au motif de ses origines tutsies. Une telle parole ne relève plus de la polémique politique mais du projet exterminateur.
Dès lors, la rencontre de Patrick Muyaya avec ces propagandistes ne saurait être réduite à un simple échange médiatique. Elle constitue un acte politique d’une gravité considérable, qui participe d’une dynamique plus large : celle de l’instrumentalisation de la haine comme mode de gouvernance. Depuis plusieurs mois, le ministre multiplie ses interactions avec des influenceurs médiatiques connus pour leur propagande anti-tutsie.
On le vit récemment coanimer un « space » avec Marlon Luzayamo, qui nie l’existence du génocide contre les Tutsis de 1994 et réhabilite les FDLR, héritiers des génocidaires rwandais réfugiés au Congo. Quelques jours plus tard, il donnait encore audience à « 22 Chancellatsha », tristement connu pour avoir appelé à « tuer tous les militaires tutsis congolais » présents dans les FARDC afin de « gagner la guerre au Kivu ».
Ces choix, loin d’être isolés, traduisent une logique. Le pouvoir congolais, par ses relais officiels, encourage la radicalisation des discours, légitime les entrepreneurs de haine et prépare l’opinion publique à une escalade dont les conséquences pourraient être catastrophiques.
Un parallèle historique inquiétant
L’histoire récente nous enseigne à quel point la légitimation institutionnelle de la propagande haineuse peut ouvrir la voie à l’irréparable. Au Rwanda, en 1994, la Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) s’était muée en caisse de résonance d’une idéologie exterminatrice, qualifiant les Tutsis de « cafards » et incitant explicitement à leur mise à mort. Ces discours, diffusés au grand jour et tolérés, puis encouragés par les autorités, préparèrent psychologiquement et politiquement le terrain au génocide. De même, dans les Balkans, dans les années 1990, certains médias serbes, portés par le discours officiel, participèrent à la construction d’une haine de l’« autre » qui légitima massacres et épurations ethniques.
En recevant et en honorant des propagandistes qui reprennent, presque mot pour mot, les lexiques de ces tragédies, les autorités congolaises jouent avec un feu dont les flammes ne se limitent jamais à leurs instigateurs. En banalisant la haine, en faisant une composante du discours officiel, elles engagent l’État congolais dans une pente dangereuse qui fait planer sur l’Est du pays le spectre d’une nouvelle tragédie de masse.
Une alerte pour la communauté internationale
Cette dérive ne peut rester confinée au champ politique intérieur. Elle doit interpeller la communauté internationale dans son ensemble. Loin de simples excès verbaux, ces prises de position révèlent une instrumentalisation délibérée de la haine ethnique comme outil de guerre et de mobilisation.
Or, l’histoire du XXe siècle et des décennies récentes a démontré qu’à chaque fois que l’on tolère la banalisation de tels discours, le passage de la parole à l’acte devient non seulement possible, mais inévitable.
Il appartient donc aux observateurs, aux partenaires régionaux et aux organisations internationales de mesurer avec gravité la portée de ces signaux. Car ce qui se joue ici dépasse la seule crise congolaise : il s’agit d’un test de la capacité collective à prévenir, avant qu’il ne soit trop tard, la répétition de tragédies dont la mémoire reste encore brûlante.

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